De la controverse intellectuelle au clash télévisuel

 

De la controverse intellectuelle au clash télévisuel

 

…en passant par la « battle » des hiphopers et autres rappeurs. En tout cas, le capitalisme a réussi son coup finalement : abrutir les « masses » dites autrefois « populaires » et les classes moyennes à l’aide de cet instrument de crétinisation massive qu’est, hélas, devenu la télévision. Bien entendu, l’outil en soi n’est pas condamnable, il n’en porte aucune responsabilité, comme le démontrent quelques rares chaînes (ARTE, DISCOVERY SCIENCE, NATIONAL GEOGRAPHIC etc.) qui, re-hélas, n’ont qu’une audience confidentielle. Donc, rentré chez lui (ou chez elle, pardon), après une rude journée de travail au bureau, au magasin ou à l’usine, le (/la) camarade (-esse)  travailleur (-euse) n’a d’autre distraction que d’allumer son poste de télévision, disposant désormais de vingt, trente, cinquante chaînes lui permettant de recevoir sa dose de somnifère cathodique (un peu comme à l’église catholique, quoi !). Le camarade travailleur se délectera de jeux télévisés débiles, de « télé-réalité » cromagnonesque, de retransmissions de matches de foot dans lesquels le moindre joueur gagne vingt, trente ou cinquante fois le SMIG à chaque partie disputée (soit 90 minutes), mais aussi et surtout, des fameux « clashes » dont se délecteront immédiatement les réseaux sociaux (de plus en plus asociaux).

   Que des journalistes en mal de notoriété, des politiques (élus par lesdites « masses » car on n’a nul besoin d’être Bac + 5 ou 8 pour l’être), des « people », des chanteurs, des musicos, des humoristes, des footeux et autres amuseurs publics se livrent à ces joutes verbales au ras des pâquerettes (quand ce n’est pas au ras des caniveaux), passe encore ! Après tout, c’est leur boulot et surtout leur fonds de commerce. Qu’ils y gagnent en notoriété, que leurs contrats publicitaires s’épaississent en même temps que leur compte en banque, très bien pour eux ! Mais que des intellectuels ou des gens censés l’être (sociologues, psychologues, psychanalystes, philosophes, historiens, écrivains, physiciens, neurologues, mathématiciens etc.) non seulement s’accommodent de ces pitreries, mais y participent activement, est une véritable honte. Ce qu’il est convenu d’appeler « la défaite de la pensée » a été provoqué par les… penseurs eux-mêmes ! En effet, c’est sans honte ou toute honte bue plutôt qu’une bonne partie d’entre eux est passée de la controverse intellectuelle au clash télévisuel. La première, la controverse intellectuelle, était (oui, temps imparfait !) une opposition d’idée contre idée, système de pensée contre système de pensée, thèse contre thèse ; la seconde, le clash télévisuel n’est qu’un affrontement verbal vulgaire et grossier qui fera sourire, rire ou au contraire s’indigner, mais dans lequel on aura sombré au degré zéro de la pensée. De toute façon, il ne laissera aucune trace puisque dès le lendemain ou le surlendemain, un nouveau clash fera oublier celui de la veille ou l’avant-veille.

   Il ne s’agit pas de l’éternelle rengaine du « avant, c’était mieux » et de regretter les controverses SARTRE/CAMUS, CESAIRE/DEPESTRE, GARCIA MARQUEZ/VARGAS LLOSA ou dans le domaine scientifique BOHR/EINSTEIN, mais d’un simple rappel : l’intellectuel est payé par la société pour produire des idées, pas pour faire le clown sur un plateau de télévision avec des semi-analphabètes en plus.  Et si les idées s’expriment principalement à travers des livres, il n’a pas à se montrer complices de journalistes qui, lorsqu’ils les invitent, n’en ont lu que la 4ème de couverture ou se sont fait faire des fiches par des assistants et qui, du coup, leur poseront des questions-bateau. L’intellectuel n’a pas à servir de faire-valoir (à bon marché, le pire !) sur des plateaux de télévision où il n’a rien à faire, hormis dans quelques rares émissions un tant soit peu sérieuses. Sinon s’il s’y abaisse et beaucoup, trois fois hélas, cèdent à la tentation, il contribue au triomphe du capitalisme et à la gigantesque entreprise de crétinisation des masses populaires et des classes moyennes mise en place par celui-ci. En clair, il est le complice objectif de ce que, très souvent, il pourfend !!!

   Ces intellectuels-KHO-LANTA, comme ont pourrait les nommer, se croient importants, mais ils ne sont que les petits soldats, les porteurs d’eau du néo-libéralisme et chacune de leurs grotesques apparitions à la télé, surtout quand un clash se produit et qu’ils en sont partie prenante, réjouit au plus haut point « les maîtres du monde ». Comment disait déjà Aimé CESAIRE ? Ah oui, ils sont devenus des « thuriféraires stipendiés ». Mais il n’y a pas que sur les plateaux-télé que ces derniers se donnent en spectacle. Tout leur est bon pour parader : cocktails mondains, foires du livre (les foires agricoles sont moins mauvais vu qu’on y trouve du bon saucisson et du pinard à volonté), conférences dûment rémunérées et autres mondanités burlesques. Ils veulent faire le « buzz » comme le premier rappeur venu et ne craignent pas d’avoir à voisiner avec Nabila, Kim Kardashian ou n’importe laquelle des pétasses à cerveau gros comme des pois chiches qui peuplent l’univers télévisuel et désormais Internet.

   Que faire ? se demanderait perplexe le camarade LENINE en caressant sa barbichette.

   Pas sorcier du tout !

   Demeurer sur son territoire. Uniquement sur son territoire. Celui de la pensée…

                                           Ti kourilet (billet du 5 novembre 2017)