Chronique d’abonnés
Dakar ville en pleine transformation
par Sylvie C.
17.02.10
VIVRE A DAKAR
Lorsque d’anciens diplomates européens décident de construire à Dakar la maison de leurs rêves pour y passer les longs mois d’hiver, lorsque des expatriés acceptent le statut financièrement moins avantageux de résident pour continuer à travailler à Dakar, lorsque des retraités français choisissent d’y passer leurs vieux jours, on est en droit de se demander si cette ville, ancienne capitale de l’Afrique Occidentale Française du temps de la colonisation, n’est pas en train de se forger un nouveau destin.
Dakar, cette ville qui, en un siècle, est passée du statut de gros village d’à peine 10 000 habitants logés dans des cases souvent insalubres à celui de capitale du Sénégal, regroupe désormais près de 3 millions d’habitants (banlieue comprise). Dakar, après des décennies d’engourdissement où elle s’est fait dépasser par sa rivale Abidjan (qui doit son surnom de «petit Manhattan» à ses nombreux gratte-ciel), est désormais en plein chantier, et voit cette terre que, selon la coutume, nul ne pouvait s’approprier, devenir l’enjeu de rivalités croissantes se traduisant par d’innombrables litiges fonciers, une flambée du prix des terrains et un accroissement des inégalités sociales.
La croissance démographique élevée, du fait d’une natalité encore importante et d’une mortalité en chute libre, s’est conjuguée à l’exode rural pour exercer une forte pression sur l’espace. Toute la presqu’île sur laquelle est bâtie Dakar est animée de cette frénésie, aussi bien le centre où les anciennes maisons sont démolies pour faire place à des immeubles modernes de plus en plus hauts, que la périphérie où de nouveaux quartiers résidentiels ou populaires émergent, grignotant peu à peu les espaces sableux où trônaient les majestueux baobabs, arbres multiséculaires et sacrés, typiques du Sénégal et que, aujourd’hui encore, on hésite à abattre, par crainte et respect des esprits qui pourraient les hanter.
Le m2 de terrain, qui se négociait à 5 euros aux Almadies (quartier à l’extrémité de la péninsule) dans les années 80, est passé à plus de 200 euros et le prix du m2 en centre ville a explosé atteignant 1 500 euros dans le neuf. Mais le prix de la main-d’œuvre restant sans commune mesure avec celui des pays développés, (le salaire minimum mensuel est d’environ 100 euros), il est encore possible de se faire construire une agréable villa pour moins de 125 000 euros à condition d’être très vigilant pendant les travaux pour éviter les surprises désagréables. Mais pour combien de temps encore ? Les loyers eux aussi s’envolent et varient désormais dans les quartiers résidentiels entre 1000 et 3 000 euros par mois car Dakar, jouant la carte de l’ouverture internationale et de la démocratie, attire les sièges des organismes internationaux.
Peu à peu, la ville s’éloigne de son centre historique créé par les colons français, où se concentrent les bâtiments administratifs, le quartier des affaires, les immeubles résidentiels dont les derniers étages offrent une vue incomparable sur la baie. Un centre rythmé par les horaires de travail, animé et embouteillé le jour, calme le soir, le dimanche et les jours fériés.
Les quartiers nouveaux, qui s’étendent jusqu’au bout de la presqu’île, accueillent la nouvelle bourgeoisie sénégalaise enrichie par le commerce, l’émigration, les affaires plus ou moins licites et parviennent à s’organiser de manière désordonnée mais efficace grâce à l’installation d’écoles privées, de restaurants, de commerces aux activités diverses qui s’adaptent spontanément à la nouvelle demande. L’initiative individuelle s’étant développée bien plus rapidement que la politique de l’urbanisme, on assiste à ce spectacle surprenant d’édification de nouveaux quartiers aux maisons de grand standing auxquelles on ne peut accéder que par des pistes défoncées et qui, la nuit, seraient plongées dans l’obscurité totale si l’éclairage individuel ne suppléait aux carences de l’éclairage public. Dans ces quartiers de nouveaux riches, où chacun semble avoir construit sans tenir compte des maisons voisines, la végétation luxuriante et les grappes multicolores des bougainvilliers finissent par masquer l’absence d’unité architecturale.
Les rémunérations dérisoires qui permettent l’emploi d’un important personnel de service pour le ménage, la cuisine, l’entretien des jardins et la surveillance des maisons, la douceur du climat tempéré par les alizés venus de la mer toute proche, le haut degré de civilité et de cordialité qui imprègnent la vie sociale rythmée par les salutations et palabres enjouées, tout se conjugue pour y créer une indéniable qualité de vie.
Par contre, dans les quartiers populaires, faute de moyens financiers, les maisons restent le plus souvent inachevées, le ciment étant déjà en soi un signe extérieur de richesse par rapport aux baraques en bois ou en tôle ondulée où vivent les familles plus pauvres. Dans ces quartiers surpeuplés où chacun doit se débrouiller pour survivre, c’est le règne de la rue et de sa joyeuse animation. Mais la vie peut y devenir un calvaire lorsque les pluies abondantes de l’hivernage transforment les rues non goudronnées en cloaques nauséabonds. La sécurité est assurée par la présence de jeunes, souvent chômeurs, qui passent leurs nuits à palabrer, jouer aux cartes et boire du thé. Les appels à la prière émanant des innombrables mosquées, les bêlements des moutons, les klaxons, les interpellations des marchands ambulants y rythment le temps.
Grâce aux différents programmes sectoriels financés par les bailleurs de fonds, la réalisation d’infrastructures collectives se met progressivement en place. Il y a urgence ! Cette ville péninsulaire, qui ne peut s’étendre que d’un seul côté, étouffe malgré l’air marin. L’insuffisance des transports collectifs a multiplié le recours aux transports individuels. La ville est envahie de véhicules de toutes sortes et de tous âges. Entre les calèches, les camions, les voitures, les taxis, les « clandos » (taxis clandestins), les mobylettes, les « cars rapides » (assurant les transports en commun), rejoindre le centre-ville en passant par les rares voies d’accès, où les policiers vite dépassés, essaient de se substituer aux feux tricolores souvent en panne, s’avère une épreuve redoutable pour les nerfs et pour les bronches, vu le niveau de pollution.
C’est ce constat qui a amené le président Wade à projeter de transférer la capitale à 60 km de Dakar. Le terrain a été délimité, les maquettes de la ville nouvelle sont en cours d’élaboration, mais la population dakaroise, attachée à sa ville, ainsi que les bailleurs de fonds restent pour le moins sceptiques.
En attendant un éventuel transfert de la capitale, le Sénégal a profité de l’organisation de la conférence islamique qui s’est tenue en 2008 pour obtenir de larges financements de la part des bailleurs de fonds arabes afin de transformer radicalement le plan de circulation. La Corniche, route principale de liaison entre l’aéroport, la périphérie résidentielle et le centre, a été élargie, dotée de ronds points, d’un tunnel de 300 m, embellie par la présence de palmiers et l’aménagement d’espaces fleuris ; des échangeurs ont été construits pour fluidifier la circulation à diverses intersections.
La réalisation de ces travaux confère indéniablement une modernité toute nouvelle à cette ville en attendant que l’autoroute, en construction, lui permette d’être reliée plus facilement aux villes de l’intérieur et notamment au futur aéroport Blaise Diagne (du nom du premier député africain élu au parlement français en 1914), lui aussi en construction à une cinquantaine de kilomètres et qui devrait voir ses premiers avions décoller d’ici 2012.