Mère, sois bénie !

 

Mère, sois bénie !

 

Mère, sois bénie !

Je me rappelle les jours de mes pères, les soirs de Dyilôr

Cette lumière d’outre-ciel des nuits sur la terre douce au soir.

Je suis sur les marches de la demeure profonde obscurément.

Mes frères et mes sœurs serrent contre mon cœur leur chaleur nombreuse de poussins.

Je repose la tête sur les genoux de ma nourrice Ngâ, de Ngâ la poétesse

Ma tête bourdonnant au galop guerrier des dyoung-dyoungs, au grand galop de mon sang de pur sang

Ma tête mélodieuse des chansons lointaines de Koumba l’Orpheline.

Au milieu de la cour, le ficus solitaire

Et devisent à son ombre lunaire les épouses de l’Homme de leurs voix graves et profondes comme leurs yeux et les fontaines nocturnes de Fimla.

Et mon père étendu sur des nattes paisibles, mais grand mais fort mais beau

Homme du Royaume de Sine, tandis qu’alentour sur les kôras, voix héroiques, les griots font danser leurs doigts de fougue

Tandis qu’au loin monte, houleuse de senteurs fortes et chaudes, la rumeur classique de cent troupeaux.

 

Léopold Sédar SENGHOR

 » A l’appel de la race de Saba « , Hosties noires (1948)

 

(in  » Anthologie poétique « )  – Voir également le lien suivant :

http://www.ina.fr/video/I05188644