Abat-jour
Tu demandes pourquoi je reste sans rien dire ?
C’est que voici le grand moment,
l’heure des yeux et du sourire,
le soir, et que ce soir je t’aime infiniment !
Serre-moi contre toi. J’ai besoin de caresses.
Si tu savais tout ce qui monte en moi, ce soir,
d’ambition, d’orgueil, de désir, de tendresse, et de bonté !…
Mais non, tu ne peux pas savoir !…
Baisse un peu l’abat-jour, veux-tu ? Nous serons mieux.
C’est dans l’ombre que les coeurs causent,
et l’on voit beaucoup mieux les yeux
quand on voit un peu moins les choses.
Ce soir je t’aime trop pour te parler d’amour.
Serre-moi contre ta poitrine !
Je voudrais que ce soit mon tour d’être celui que l’on câline…
Baisse encore un peu l’abat-jour.
Là. Ne parlons plus. Soyons sages.
Et ne bougeons pas. C’est si bon
tes mains tièdes sur mon visage !…
Mais qu’est-ce encor ? Que nous veut-on ?
Ah ! c’est le café qu’on apporte !
Eh bien, posez ça là, voyons !
Faites vite !… Et fermez la porte !
Qu’est-ce que je te disais donc ?
Nous prenons ce café… maintenant ? Tu préfères ?
C’est vrai : toi, tu l’aimes très chaud.
Veux-tu que je te serve ? Attends ! Laisse-moi faire.
Il est fort, aujourd’hui. Du sucre ? Un seul morceau ?
C’est assez ? Veux-tu que je goûte ?
Là ! Voici votre tasse, amour…
Mais qu’il fait sombre. On n’y voit goutte.
Lève donc un peu l’abat-jour.
Absence
Ce n’est pas dans le moment
où tu pars que tu me quittes.
Laisse-moi, va, ma petite,
il est tard, sauve-toi vite !
Plus encor que tes visites
j’aime leurs prolongements.
Tu m’es plus présente, absente.
Tu me parles. Je te vois.
Moins proche, plus attachante,
moins vivante, plus touchante,
tu me hantes, tu m’enchantes !
Je n’ai plus besoin de toi.
Mais déjà pâle, irréelle,
trouble, hésitante, infidèle,
tu te dissous dans le temps.
Insaisissable, rebelle,
tu m’échappes, je t’appelle.
Tu me manques, je t’attends!
Passé
Tu avais jadis, lorsque je t’ai prise,
il y a trois ans,
des timidités, des pudeurs exquises.
Je te les ai désapprises.
Je les regrette à présent.
A présent, tu viens, tu te déshabilles,
tu noues tes cheveux, tu me tends ton corps…
Tu n’étais pas si prompte alors.
Je t’appelais : ma jeune fille.
Tu t’approchais craintivement.
Tu avais peur de la lumière.
Dans nos plus grands embrassements,
je ne t’avais pas tout entière…
Je t’en voulais. J’étais avide,
ce pauvre baiser trop candide,
de le sentir répondre au mien.
Je te disais, tu t’en souviens :
« Vous ne seriez pas si timide
si vous m’aimiez tout à fait bien !… »
Et maintenant je la regrette
cette enfant au front sérieux,
qui pour être un peu plus secrète
mettait son bras nu sur ses yeux.
Paul GERALDY (in » Anthologie poétique « )
Plaisir, 2 janvier 2017