C’est une chose étrange à la fin que le monde

 

C’est une chose étrange à la fin que le monde

 

C’est une chose étrange à la fin que le monde
Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midis d’incendie
La nuit immense et noire aux déchirures blondes

Rien n’est si précieux peut-être qu’on le croit
D’autres viennent Ils ont le cœur que j’ai moi-même
Ils savent toucher l’herbe et dire je vous aime
Et rêver dans le soir où s’éteignent les voix

Il y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l’aube première
Il y aura toujours l’eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n’est le passant

C’est une chose au fond que je ne puis comprendre

Cette peur de mourir que les gens ont chez eux

Comme si ce n’était pas assez merveilleux
Que le ciel un moment nous ait paru si tendre…

Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu’à qui voudra m’entendre à qui je parle ici
N’ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle


Louis ARAGON, (1897-1982) 
Les Yeux et la mémoire, 1954, Chant II, Que la vie en vaut la peine, 

 

(in  » Anthologie poétique « 

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Lire également de Jean d’Ormesson : C’est une chose étrange à la fin que le monde, 2010