VIATIQUE
Dans un des trois canaris
Des trois canaris où reviennent certains soirs
Les âmes satisfaites et sereines,
Les souffles des ancêtres,
Des ancêtres qui furent des hommes
Des aïeux qui furent des sages.
Mère a trempé trois doigts,
Trois doigts de sa main gauche :
Le pouce, l’index et le majeur ;
Moi j’ai trempé trois doigts :
Trois doigts de la main droite :
Le pouce, l’index et le majeur.
Avec ses trois doigts rouges de sang,
De sang de chien, de sang de taureau, de sang de bouc.
Mère m’a touché par trois fois.
Elle a touché mon front avec son pouce,
Avec l’index mon sein gauche
Et mon nombril avec son majeur.
Moi j’ai tendu mes doigts rouges de sang,
De sang de chien, de sang de taureau, de sang de bouc.
J’ai tendu mes trois doigts aux vents
Aux vents du Nord, aux vents du Levant
Aux vents du Sud, aux vents du couchant
Et j’ai levé mes trois doigts vers la lune,
Vers la lune pleine, la lune pleine et nue
Quand elle fut au fond du plus grand canari.
Après j’ai enfoncé mes trois doigts dans le sable
Dans le sable qui s’était refroidi.
Alors Mère a dit : « Va par le monde, va !
Dans la vie ils seront sur tes pas. »
Depuis je vais, je vais par les sentiers
Par les sentiers et sur les routes,
Par-delà la mer et plus loin, plus loin encore,
Par-delà la mer et par-delà l’au-delà ;
Et lorsque j’approche les méchants, les hommes au cœur noir,
Lorsque j’approche les envieux, les hommes au cœur noir
Devant moi s’avancent les Souffles des Aïeux.
Birago DIOP
(in » Anthologie poétique « )
Plaisir, 2 août 2016