Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Victor Hugo, extrait du recueil «Les Contemplations» (1856)
A présent, extrait de mon Lagarde et Michard du XIXème siècle, collection qui m’a toujours accompagné durant mes années de lycée et dont je possède encore tous les volumes :
« Aux accents amples et pathétiques, mais trop éloquents parfois de A Villéquier, on peut préférer l’intimité bouleversante de cette courte pièce et la parfaite sobriété de son art. Quatre ans ont passé depuis la disparition de Léopoldine sans atténuer la douleur de Victor Hugo ; mais il lui semble maintenant sentir comme une présence de son enfant chérie : il lui parle à mi-voix, tendrement, comme si elle était encore vivante. Elle l’appelle, elle l’attend et il sera fidèle au rendez-vous sur sa tombe, dans le petit cimetière qui domine la Seine. Avec cet humble bouquet, il lui offrira symboliquement toute la beauté du paysage, toute cette splendeur du monde à laquelle il veut plus être sensible. Le poème a été composé le 4 octobre 1847, mais la date du 3 septembre, veille du douloureux anniversaire, l’insère d’une façon plus significative dans ce culte du souvenir. »