Philippine assassinée

 

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 Meurtre de Philippine : l’effrayant mais ordinaire parcours du suspect

 

Dans le bois de Boulogne où a été découvert le corps de Philippine, samedi 21 septembre.   © Houpline Renard/SIPA

Tout désigne un Marocain déjà condamné pour viol, en situation irrégulière, non expulsé, du meurtre de la jeune étudiante. Et le plus inquiétant est que tout s’explique.

 

Par Nicolas BastuckErwan Seznec et Bartolomé Simon

Publié le 25/09/2024 à 17h56

 

Des dysfonctionnements ? Peut-être même pas… Des présomptions très graves pèsent sur un Marocain de 22 ans en situation irrégulière, Taha O., seul suspect dans l’enquête sur le meurtre de Philippine, retrouvée morte dans le bois de Boulogne le samedi 21 septembre. Son ADN a été retrouvé sur les lieux du crime. Déjà condamné pour un viol commis en 2019, sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), il était en liberté depuis deux semaines seulement. Il a été arrêté le 24 septembre à Genève (Suisse), où il est en attente d’extradition.

Son parcours est désormais connu, au moins dans les grandes lignes. Apparemment, à chaque étape, les lois qui encadrent le séjour des étrangers en France, y compris les délinquants, ont été respectées. Jusqu’à la tragédie. Retour sur un parcours où résonnent des alarmes de sortie de route à tous les virages.

L’entrée sur le territoire

Taha O. arrive en France en 2019 via l’Espagne, grâce à un visa touristique. Âgé de 17 ans, il est classé mineur non accompagné (MNA)La France enregistre à cette époque un flux d’arrivées de MNA en provenance du Maroc. Certains, agressifs, violents et parfois drogués, causent des troubles importants à l’ordre public. Cette situation prend de telles proportions que la police marocaine, en juillet 2018, envoie des hommes à Paris, avec l’accord du ministère de l’Intérieur, pour contribuer au règlement du problème, qui se pose aussi à Rennes et Nantes.

Ces jeunes Marocains viennent majoritairement d’Oujda, qui serait la ville natale de Taha O. Leurs familles, démunies, les encouragent à rejoindre l’Europe. Selon une étude sur les mineurs non accompagnés (MNA) marocains réalisée par l’association Trajectoires en 2018, seuls 10 % de ceux qui sont passés par Paris « présentent un long parcours d’errance au Maroc avec des comportements d’enfants des rues ».

La prise en charge en tant que mineur

Taha O., de son côté, est pris en charge par le département du Val-d’Oise. Il n’est pas le seul, selon un rapport publié en novembre 2020 par la chambre régionale des comptes (CRC) d’Île-de-France. Dans le Val-d’Oise, « le nombre de jeunes sollicitant un accueil provisoire d’urgence en qualité de MNA est passé de 419 en 2014 à 2 647 en 2018, soit une multiplication par plus de six ». Le système est saturé. Le délai d’évaluation sociale des dossiers (cinq jours seulement) devient totalement irréaliste. Estimer l’âge des jeunes pose des difficultés incessantes.

En attendant, le département loge les MNA à l’hôtel, à ses frais. L’État accorde une rallonge financière à tous les conseils départementaux début 2019, mais l’addition reste très lourde : près de cinq millions d’euros de charge pour le conseil départemental du Val-d’Oise au premier semestre 2019. La CRC estime le coût total annuel d’accueil des MNA dans le Val-d’Oise à plus de 44 600 euros par personne en 2019…

La première affaire et la condamnation pour viol

Taha O. bascule dès son arrivée. Quelques semaines seulement après son installation dans le Val-d’Oise, il viole une étudiante de 23 ans à Taverny, déjà dans un bois. La jeune fille a eu la malchance de le croiser sur un sentier forestier. Il est rapidement identifié grâce à son ADN. Placé en détention provisoire, il est condamné le 5 octobre 2021 par la cour d’assises des mineurs du Val-d’Oise, à sept ans de prison. Si l’excuse de minorité a été retenue par la cour d’assises, la peine maximale encourue était de sept ans (contre quinze ans pour une personne majeure). Il ressort le 20 juin 2024, après avoir passé près de cinq ans derrière les barreaux, en comptant la détention provisoire.

Une détention raccourcie, conformément au droit

Le meurtrier présumé de Philippine, condamné en 2021 à sept ans d’emprisonnement, a passé cinq ans en prison, détention provisoire comprise. Cela peut sembler difficile à concevoir, il s’agit même d’un malentendu permanent : au regard du code de procédure pénale, et donc de la loi, une peine d’emprisonnement ferme ne s’exécute pas forcément… en prison. Les peines peuvent être aménagées dès qu’elles sont prononcées ou durant leur exécution.

Même s’il s’en défend, le ministère de la Justice s’efforce au maximum de « réduire les effets négatifs de l’emprisonnement sur la réinsertion sociale, tout en luttant contre la surpopulation carcérale (plus de 126 %) ». L’entrée des délinquants en prison est ainsi repoussée au maximum, par le biais de peines alternatives à l’incarcération (le sursis probatoire, par exemple), pour certains délits, ou en convertissant, dès qu’elles sont prononcées, les courtes peines d’emprisonnement (moins d’un an), sous différentes formes : placement extérieur, semi-liberté, détention à domicile sous surveillance électronique…

Pour les peines plus lourdes, l’aménagement en cours d’exécution est également favorisé avec la libération conditionnelle ; celle-ci peut être accordée par le juge (JAP) ou le tribunal de l’application des peines (TAP) lorsque la durée de la peine déjà purgée par le condamné est au moins égale à la durée de la peine lui restant à subir, et si celui-ci manifeste « des efforts sérieux de réinsertion ». Cette mesure s’accompagne d’un certain nombre d’obligations et/ou d’interdictions relevant du suivi socio-judiciaire : obligation de travailler, de suivre des soins, d’indemniser la victime, de pointer au commissariat, de signaler tout changement de domicile, interdiction de paraître en des lieux, de rencontrer certaines personnes, etc.

Le passage en centre de rétention administrative (CRA)

À sa sortie de prison, expulsable, il part directement en centre de rétention administrative (CRA) à Metz-Queuleu, dans l’attente de son « renvoi forcé ». Sa libération conditionnelle avait sans doute été subordonnée à la condition que cette mesure d’éloignement, signifiée le 18 juin 2024, soit exécutée, comme le prévoit la loi. Le placement en rétention vise à « éviter tout risque de fuite » ou « un comportement menaçant l’ordre public ». Un étranger mineur ne peut être placé en rétention, mais l’intéressé ne l’était plus à sa sortie de prison.

Il retrouve, là encore, un système français à bout de souffle. En septembre 2022, le CRA de Metz a connu l’évasion de douze détenus de nationalités algérienne, marocaine et libyenne, dont trois qui sortaient de prison ! Impossible de savoir si cela a joué, mais les plans hyper-détaillés du CRA de Metz sont disponibles en ligne en deux clics. Le collectif À bas les CRA les a mis en ligne, considérant qu’il est de son devoir de favoriser des évasions…

Un juge ordonne sa libération du CRA

Un juge des libertés et de la détention ordonne sa sortie du CRA, le 3 septembre. Il disparaît dans la nature. Le lendemain, le Maroc délivre enfin le laissez-passer consulaire permettant de mettre en œuvre l’OQTF…

Le parquet précise que le placement en CRA avait été « prolongé à trois reprises par un juge des libertés et de la détention ». Un quatrième prolongement était possible. La durée initiale de placement en rétention en CRA est de quarante-huit heures. Si l’éloignement n’a pas été réalisé dans ce délai, une prolongation de vingt-huit jours peut être demandée au juge des libertés et de la détention (JLD). Une deuxième prolongation de trente jours peut être décidée – par le juge toujours – en cas d’« urgence absolue » (risque de fuite), de menace pour l’ordre public, ou si le renvoi dans le pays d’origine est impossible, ce qui fut ici le cas, à défaut d’un laissez-passer consulaire délivré à temps par le Maroc.

Une troisième prolongation de quinze jours peut être décidée par le juge en raison de l’absence de délivrance des documents de voyage par le consulat, en cas de présentation de demande d’asile, d’obstruction à la mesure d’éloignement ou d’urgence absolue. Une dernière prolongation de quinze jours peut être encore demandée au JLD, notamment si la personne retenue présente une menace persistante pour l’ordre public. Il semble que le juge, saisi par le préfet de l’Yonne, ait refusé la quatrième et dernière prolongation de quinze jours que permettait la loi. L’enquête dira sans doute pourquoi.

L’OQTF non exécutée

Une fois de plus, le problème dépasse très largement le cas de Taha O. Le taux d’exécution des OQTF en France était de 6,9 % en 2022. Selon un rapport de la Cour des comptes remis en janvier 2024, les autorités veillent tout particulièrement à expulser les délinquants ayant purgé leur peine, mais même pour eux, sur la période 2019-2022, le taux d’exécution des peines est de 45 % seulement. Sur 7 225 étrangers défavorablement connus de la justice et expulsables, 3 952 ne l’ont pas été.

Le Maroc ne brille pas par sa bonne volonté dans ce domaine. « Nous avons eu le cas d’un patient étranger très désorienté qui a miraculeusement retrouvé ses identifiants Facebook lorsqu’il a été placé devant un ordinateur », raconte le responsable d’un centre d’accueil parisien. « Il est entré en contact immédiatement avec sa famille au Maroc, très émue de le retrouver, qui lui demandait de rentrer. Le Maroc a refusé de délivrer le laissez-passer consulaire, prétextant que Facebook ne prouvait rien. »

L’absence de suivi de son assignation à résidence

À la suite de cette troublante décision de libération prise par le juge des libertés, le 4 septembre, Taha O. fait tout de même l’objet d’une assignation à résidence par la préfecture de l’Yonne dans un hôtel près d’Auxerre. Cette mesure, prononcée pour une durée de 45 jours, peut être renouvelée deux fois, pour 135 jours maximum. Il n’en a pas tenu compte, et l’administration ne l’a pas retrouvé à temps. Ce n’est pas faute de l’avoir signalé, le 18 septembre 2024. Selon le parquet de Paris, la préfecture de l’Yonne alertait que « l’intéressé ne respectait pas les obligations de son assignation à résidence ». Plus personne ne l’apercevait à son hôtel…

En ne respectant pas son assignation, Taha O. s’exposait en théorie à trois ans de prison et 15 000 euros d’amende. S’il avait été interpellé à nouveau, le juge des libertés et de la détention aurait pu ordonner de nouveau son placement en rétention.

Le meurtre de Philippine

Rien de cela ne s’est produit. Le 19 septembre 2024, Taha O. est inscrit au fichier des personnes recherchées, selon le parquet de Paris. Il est déjà loin de l’Yonne. Le vendredi 20 septembre, il se trouve à Paris. À la recherche d’une proie ? Un homme étrange est remarqué en train d’épier près de la faculté Dauphine le vendredi du drame. Vers 14 heures, Philippine sort de cours après avoir déjeuné à la cantine de l’université. Elle s’apprête à prendre le RER pour rejoindre ses parents à Montigny-le-Bretonneux (Yvelines). En l’absence de nouvelles, ses parents, inquiets, signalent sa disparition. Leur visite au commissariat local s’achève par une main courante, sans aller jusqu’au signalement pour disparition inquiétante.

Le lendemain, la géolocalisation de son portable permet à une cinquantaine de ses proches d’organiser une battue dans le bois de Boulogne. À seulement une centaine de mètres de la lisière du bois gît le corps partiellement enterré de Philippine. Taha O., lui, est déjà loin.

Et maintenant ?

Les résultats de l’autopsie ne sont pas encore connus. L’information judiciaire est ouverte au plus haut des qualifications pénales possibles, afin que le juge d’instruction ait toute latitude pour investiguer : meurtre précédé, accompagné ou suivi d’un autre crime (en récidive légale), viol (en récidive légale), vol (en récidive légale) et escroquerie (en récidive légale). L’escroquerie est liée au fait que l’individu a fait usage de la carte bancaire de la victime pour retirer de l’argent, après lui avoir soutiré son code, avant de la tuer. Taha O. devrait être extradé rapidement. La demande va en être faite à la Suisse au plus vite.


Ce que cette horreur de plus m’inspire : 

Je plains sincèrement les pauvres parents de la jeune étudiante dont je fais figurer ci-dessus la photo Instagram ; ils n’ont plus aujourd’hui que leurs yeux pour pleurer. Le 9 novembre 1974, – il y aura donc tout juste 50 ans cette année -, je suis arrivé moi aussi en France comme un migrant, mais un migrant REGULIER. Les difficultés d’insertion que j’ai pu connaître au début de mon séjour (logement, études, travail, etc), n’ont pas fait pour autant de moi un révolté ni, encore moins, un délinquant. Au contraire, j’ai eu à coeur de servir mon pays d’adoption et j’ai oeuvré avec honneur au sein de sa police nationale, pendant trente années, jusqu’à la retraite. Il ne sert à rien d’avoir des frontières si n’importe quel étranger peut s’arroger le droit de les franchir illégalement au gré de ses seules envies ou au nom de besoins vitaux qu’il estime supérieurs. Il n’est pas étonnant que le Rassemblement National ait prospéré depuis plusieurs années sur ce terreau de l’immigration incontrôlée vu le ras-le-bol que ce sujet provoque chez la majorité des Français… moi y compris.

Plaisir, 26 septembre 2024