(Texte publié dans L’Église canadienne, vol. 28, numéro 8 – septembre 1995, P. 284-289)
Devant un immense malaise
Une évidence saute aux yeux de tout observateur : un immense malaise entoure aujourd’hui la manière dont l’Église aborde et traite la question du divorce.
Les évêques les premiers semblent de plus en plus conscients de ce malaise. Ils en parlent comme de quelque chose qui est pour eux source de souffrance. A l’intérieur du cadre étroit qui semble leur être imposé comme indépassable, ils cherchent des voies qui permettraient d’humaniser et peut-être même de christianiser des conceptions et des pratiques dont ils sentent bien qu’elles font problème et qu’elles ne sont plus adaptées aux réalités présentes. La récente tentative menée par trois évêques allemands de la Province ecclésiastique du Rhin supérieur, parmi les plus éminents de l’Allemagne d’aujourd’hui, est une illustration de cette prise de conscience. Cette tentative a suscité une intervention de la Congrégation pour la Doctrine de la foi qui ramène tout le monde à la case de départ, c’est-à-dire à un malaise profond dont il semble qu’il soit plus que jamais impossible de sortir [1].
Le malaise ressenti aujourd’hui ne saurait, en effet, être minimisé. Il s’exprime de multiples manières. On parle de scandale. C’est qu’on ne voit pas comment la pensée et la pratique actuelles pourraient être dites évangéliques et chrétiennes, puisqu’on n’y retrouve pas l’attention et la compassion qu’avait le Christ pour ceux qui vivent des situations humaines difficiles.
On parle d’irréalisme. C’est qu’on ne comprend pas qu’on puisse imposer une vie de célibataire à des personnes, parfois très jeunes, qui ne sont pas faites pour cet état de vie et qui, très souvent, ne sont aucunement coupables de la situation dans laquelle elles se retrouvent après l’échec d’un premier mariage.
On parle d’orientation pastorale dont les résultats sont très négatifs. C’est que la pensée et la pratique actuelles font vraiment scandale et détournent bien des gens, inutilement et souvent d’une façon irrémédiable, aussi bien de la foi elle-même que de l’Église.
On parle d’illogisme. C’est qu’on proclame d’un côté la nécessité et l’importance pour la vie chrétienne de la fréquentation des sacrements et notamment de la Pénitence et de l’Eucharistie, alors qu’on en refuse l’accès à des croyants nombreux qui en auraient justement grand besoin.
On parle d’un discours qui ne porte pas et n’est que peu reçu. C’est que la difficulté n’est pas mince d’enseigner une pensée sur l’indissolubilité du mariage qui se montre incapable de tenir compte des vraies situations, souvent douloureuses, vécues par tant de gens.
On parle de cruauté. C’est que la condition spirituelle dans laquelle on enferme les divorcés remariés est pour plusieurs la source de tourments et d’inquiétudes bien peu propices à une vie religieuse menée dans la joie et l’espérance.
Le malaise est donc immense et multiforme. Il a des conséquences spirituellement tragiques pour beaucoup de personnes. Il met les évêques et les prêtres dans l’embarras le plus grand. Aussi est-il urgent qu’on mette toutes ses énergies à chercher les moyens de sortir de ce qui le produit et l’entretient. La seule manière d’y parvenir est de retourner à l’enseignement de Jésus tel qu’il a été compris aux temps apostoliques, pourvu qu’on accepte également de l’appliquer avec réalisme au monde d’aujourd’hui. C’est le programme qui sera esquissé ici.
Le legs de Jésus et de l’ère apostolique
Pour un théologien, c’est de bonne méthode que de s’appuyer sur ce qui lui paraît être un travail exégétique sérieux. C’est ce que je ferai et le travail exégétique sérieux dont je tirerai ici mon profit est le substantiel article de F. X. Durrwell ayant pour titre: Indissoluble et destructible mariage [2]. Je ne rappellerai pas ici tous les détails de cette étude complexe : le lecteur désireux de les connaître pourra se référer à l’étude elle-même. Je me contenterai de dégager, en essayant d’être fidèle, les principales articulations de la pensée qu’on y trouve et les conclusions auxquelles elle conduit.
La démarche de Durrwell est limpide. L’exégète veut retrouver dans toute la mesure du possible le contenu de l’enseignement originel de Jésus sur la question du divorce et il veut voir comment, au cours des temps apostoliques, on l’a compris puis adapté à des milieux différents. C’est là, on en conviendra, un projet séduisant. Ajoutons que c’est une enquête nécessaire pour nous qui devons être créateurs si nous voulons que se dissipe l’immense malaise que nous venons d’évoquer.
Pour ce qui est des paroles originelles de Jésus et de leur visée précise, la pensée de Durrwell peut se ramener aux quelques éléments que voici. Jésus a voulu intervenir dans la controverse qui existait au sujet des répudiations par lesquelles, dans la législation et la coutume juives, les hommes pouvaient renvoyer leur femme. Une certaine dérive s’était installée : on répudiait à propos de tout et de rien. Devant cette situation, Jésus rappelle avec force le grave devoir de fidélité en regard de l’indissolubilité de l’engagement matrimonial. Il ne faut pas lire ses paroles comme une nouvelle formulation juridique, encore moins comme une radicalisation et un durcissement de la loi mosaïque, mais comme le rappel d’une grave obligation morale, un peu comme on trouve de tels rappels dans le Sermon sur la montagne. À une interprétation juridique des paroles de Jésus, Durrwell oppose une interprétation qu’il appelle personnaliste. Tout dans le comportement de Jésus invite à faire ce choix.
De son côté, la manière dont les Apôtres rapportent l’enseignement de Jésus est, elle aussi, très instructive. Marc et Matthieu adaptent cet enseignement à leurs auditoires respectifs sans en changer le sens. S’adressant au monde grec où les femmes pouvaient elles aussi répudier leur mari, Marc parlera de manière que la prescription de fidélité s’applique également aux femmes (Mc 10, 2-12). Matthieu, pour sa part, fera place à une exception pour ceux qui répudieraient leur femme pour cause de mauvaise conduite, la fameuse “ porneia ” (Mt 5, 32 et 19, =-9). Quant à Paul, il fera une adaptation du même enseignement pour les cas où, chez les païens, un seul des conjoints se convertirait. Il voudra que soit sauvegardée la foi et la paix dans les foyers (1 Co 7, 10). C’est ce qu’on appellera par la suite le “privilège paulin”. Formule bien incorrecte, puisqu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un privilège, encore moins d’un privilège que Paul, et lui seul, pouvait accorder.
De cet ensemble à deux volets se dégage une pensée générale qui est l’inspiration centrale de l’étude de Durrwell. Jésus n’a pas voulu présenter une nouvelle loi ou une nouvelle formulation de la prescription juridique ; il a simplement voulu rappeler avec force la grave obligation de fidélité qu’entraîne l’engagement dans le mariage. Les Apôtres ont repris cet enseignement en comprenant qu’il pouvait laisser place à une souplesse qui permettrait de tenir compte des situations exceptionnelles qui pourraient se présenter dans les divers milieux.
Sur cette base, on peut jeter un regard neuf sur la pensée et la pratique de l’Église comme le voulaient les évêques participant au Synode des évêques sur le mariage et la famille, tenu à Rome en 1980, dans un souhait que rappelaient récemment les trois Evêques du Rhin supérieur [3]. Ce regard neuf sera forcément critique par rapport à la pensée et à la pratique actuelles, mais il permettra de proposer des chemins nouveaux, caractérisés par le réalisme, la cohérence et surtout par la compréhension et la miséricorde devant la situation de tant de personnes qui vivent un échec humain particulièrement douloureux.
Propositions pour sortir de l’impasse
En regard du divorce, la pensée et la pratique de l’Église ne sont pas simples. Non seulement comportent-elles de nombreux aspects, mais il y a en elles de l’irréalisme, des contradictions, des orientations qu’il importe de corriger. Pour rendre justice à cette multiplicité, j’ai choisi de rassembler un certain nombre de propositions dont l’ensemble pourrait permettre de sortir de l’impasse dans laquelle, depuis un bon moment, on se trouve enfermé.
Ce qui caractérise l’impasse, c’est qu’on ne peut plus avancer, qu’il n’y a pas de voies de côté et qu’il faut absolument rebrousser chemin. En énumérant tranquillement, une à une, les propositions qui vont suivre, j’espère modestement aider l’Église à faire cette difficile opération. Si certaines de ces propositions invitent nécessairement à sortir des discours et des pratiques actuels, d’autres suggèrent des orientations nouvelles. Renoncer, accepter de s’orienter autrement, c’est bien ce que réclame la rencontre de l’impasse.
1. Une première condition s’impose pour sortir de l’impasse. Elle consiste à consentir à voir l’enseignement de Jésus en regard de l’indissolubilité du mariage comme le rappel d’un important devoir moral et non pas comme s’il s’agissait d’une nouvelle formulation juridique, plus absolue, de la loi mosaïque. En un sens, ce virage est la requête la plus essentielle si l’on veut sortir du cul-de-sac actuel. On ne compte plus aujourd’hui les critiques de l’approche trop juridique du mariage caractéristique de la pensée qui s’est installée dans l’Église depuis quelques siècles.
Ce virage est sain: il permet de se centrer sur la personne, sur ses obligations, et sur la recherche de tout ce qu’il faut faire pour remplir ces dernières avec générosité. On s’étonne qu’en régime de pensée chrétienne, cela soit souvent perdu de vue : la fidélité à l’engagement pris quand on contracte un mariage est d’abord un devoir. Ce devoir concerne au premier chef la personne qui s’est engagée. Il est ce qui donne à son engagement sa solennité et sa beauté. Ce qu’il importe de comprendre ici, toutefois, c’est qu’en abordant l’indissolubilité comme un devoir il faudra consentir à la traiter, par la suite, comme telle.
2. On ne s’étonnera pas que, dès la seconde proposition, j’évoque la nécessité de tenir compte, comme nous y invite Durrwell, de la manière dont on a compris l’enseignement de Jésus pendant la période apostolique. J’ai souligné brièvement plus haut, à la suite de l’exégète, comment cet enseignement a été compris comme pouvant être transmis en des termes différents pour tenir compte des milieux et comment il laissait place à des situations d’exception. Soyons clair : il est impossible de sortir de l’impasse actuelle si l’on ne consent à faire ce pas. Concrètement, cela signifie que, si l’on veut accéder à une correcte formulation de l’attitude chrétienne en regard du divorce, on devrait cesser de parler d’un supposé « privilège paulin » pour évoquer plutôt la “ souplesse paulinienne ”. On le perçoit facilement, un lien étroit relie cette seconde proposition à la première : quand on parle de devoirs, il est toujours normal qu’on rencontre des situations d’exception. Je ne résiste pas à la tentation d’évoquer ici le mot fameux de Charles Péguy : “ Une morale souple n’est pas moins une morale qu’une morale raide. ”
3. Les situations d’exception ! On ne sortira pas de l’impasse si l’on ne fait pas un autre pas essentiel, celui qui consiste à les reconnaître.
Quand on entend le discours officiel de l’Église, on a le sentiment qu’avec une naïveté qui étonne il est rédigé en supposant que tous les mariages sont faits pour réussir ! Pour sortir de l’impasse actuelle, il est nécessaire de reconnaître d’une manière explicite l’inévitabilité de certains échecs humains dans le domaine des relations conjugales. Le réalisme le plus élémentaire oblige à constater que des communautés matrimoniales “meurent”, pour employer un mot courant aujourd’hui et que Durrwell également adopte. Cela est vrai, du moins, si l’on considère les communautés conjugales conformément à la définition de Vatican II, qui voyait le mariage comme une “communauté profonde de vie d’amour” [4].
La réflexion morale contemporaine a pris acte de ce fait. Quand on lit les « Notes on Moral Theology » de Richard A. Cormick, on est obligé de constater que le thème de la mort de certains mariages est au cœur des réflexions d’un grand nombre de moralistes [5]. Dans la démarche qui est sienne, Durrwell aussi, pour sa part, parle de mariages qui « meurent » [6] ; il reconnaît que si le mariage doit être considéré comme entraînant un grave devoir de fidélité en regard d’un engagement de soi indissoluble, il peut arriver qu’il soit destructible : d’où le titre d’une si belle limpidité de son importante contribution. Il est difficile de comprendre que cet acquis majeur de la réflexion morale contemporaine sur notre sujet ne soit pas mieux assumé par le magistère de l’Église. Comme on le devine bien, s’assumer transforme toutes les perspectives.
Certes, personne ne préconise une attitude laxiste en regard du divorce. Bien au contraire, chacun insiste pour souligner que tout doit être fait pour “sauver” un mariage qui serait en péril, pour rappeler le devoir de patience lorsque les difficultés se présentent, pour dire la nécessité de ménager des délais importants avant de prendre une décision qui rendrait une situation irrémédiable. Mais tout cela étant dit, il reste vrai que des mariages irrémédiablement morts, cela existe. Et cela n’est pas rarissime !
Devant ces mariages morts, deux conceptions de l’indissolubilité s’opposent. L’une, que Durrwell appellera extrinséciste, voit l’indissolubilité comme appartenant à un lien conjugal subsistant par lui-même, indépendamment des personnes et des réalités très humaines dans lesquelles ces personnes se trouvent. L’autre, que le même exégète appellera personnaliste, consiste avant tout à la voir comme la grave obligation morale qu’ont les époux de rester fidèles à l’engagement pris lors de leur mariage. Quand on adopte la première conception, on peut ne pas voir facilement la place qu’il y aurait lieu de faire à des situations d’exception, et cela même si l’on veut penser en fonction du bien des personnes. La situation est tout autre quand on adopte la seconde, que nous avons présentée plus haut comme étant celle de Jésus. Le devoir moral en regard de l’indissolubilité peut cesser quand la communauté matrimoniale, “communauté de vie et d’amour”, irrémédiablement morte, ne peut plus subsister. On peut appliquer dans ce cas la pensée souple et ouverte que saint Paul, le premier, a estimé être celle de Jésus. Faut-il y insister longuement ? Le remariage n’est pas nécessairement la solution la pire pour l’équilibre humain et spirituel des personnes concernées. On s’étonne de devoir observer que la pensée et la pratique actuelles de l’Église semblent trouver naturel que ceux qui expérimentent un échec matrimonial seraient subitement appelés, même jeunes, à une vocation au célibat qu’on présente habituellement, à bon droit, comme une vocation exceptionnelle.
4. Il nous faut aborder maintenant la question de l’accès des divorcés remariés aux sacrements. Cette question est au cœur du malaise actuel, bien qu’elle ne l’épuise pas, comme on le voit bien déjà. Elle concerne tout le monde catholique. Au premier chef, elle concerne les personnes dont le statut fait qu’elles se trouvent actuellement systématiquement bannies des sacrements. Elle concerne aussi les pasteurs qui ont à enseigner et appliquer les directives pastorales de l’Église. Elle concerne les évêques, dont nous avons souligné plus haut le malaise ; ils sont les responsables de ces directives.
L’aspect profondément humain de cette question de l’accès des divorcés remariés à la Pénitence et à l’Eucharistie ne peut être négligé.
Il ne manque pas de personnes qui sont intérieurement révoltées à la pensée qu’on s’adresse aux divorcés remariés comme s’ils étaient en permanence en état de péché grave et à la pensée qu’on les bannit systématiquement du sacrement de la Pénitence et de l’Eucharistie. Toutes les protestations verbeuses à l’effet que ces personnes n’ont pas à se sentir exclues de l’Église ne pourront jamais corriger le fond des choses.
Abordée dans le contexte de la pensée dont nous venons d’établir les principaux traits, la question de l’accès des divorcés remariés à la Pénitence et à l’Eucharistie se pose dans un cadre totalement différent. Quand on admet que le remariage peut être légitime dans certains cas où le mariage précédent est vraiment “mort”, il est bien évident que les exclusions que tellement de gens déplorent aujourd’hui se trouvent pour ainsi dire oubliées. Inutile d’insister sur le fait que les divorcés remariés et les pasteurs se trouvent du même coup déchargés d’un poids considérable. Les premiers, du poids qui pèse très souvent inutilement sur leur conscience. Les seconds, du poids des contradictions qui alourdissent leur travail pastoral.
5. On ne peut éviter la difficile question de savoir quelle pourrait être le rôle de l’Église dans l’administration juridique et judiciaire du mariage des catholiques. Les malaises que suscite la situation présente dans ce domaine sont bien connus. Ou bien l’on s’en tient d’une manière rigoureuse à ne déclarer nuls que les mariages qui le furent vraiment au moment où ils furent contractés. Dans ce cas, l’on ne se trouve pas à prendre en compte les mariages qui meurent après avoir été tout à fait valides à l’origine. Ou bien, l’on se laisse entraîner à multiplier les cas de déclaration de nullité pour prendre en compte, justement, les mariages qui meurent. Plusieurs voient dans cette pratique ce qu’ils appellent “le divorce catholique”, une manière détournée de reconnaître le divorce. D’autres sont scandalisés, à tort ou à raison, par certains “certificats” de nullité qui sont accordés. D’autres soulignent les anomalies qu’il y a à déclarer nul, à cause des difficultés rencontrées, un mariage qui avait bel et bien été valide à l’origine et qui avait parfois été vécu pendant des années comme une vraie communauté de vie et d’amour. On le voit bien, dans l’Église, l’administration juridique et judiciaire des mariages n’est pas étrangère au grand malaise que nous avons évoqué au début de ces pages.
Quand on regarde l’indissolubilité du mariage comme un grave devoir des époux et quand on reconnaît qu’il existe une telle chose que des mariages qui meurent, on est invité à voir dans une tout autre perspective le rôle de l’Église dans l’administration juridique et judiciaire des mariages. Quatre règles pourraient alors guider dans la définition de l’action de l’Église.
On reconnaîtrait comme légitime la profonde répugnance qu’ont le plus souvent les époux à venir étaler leurs difficultés conjugales devant un tribunal ecclésiastique; la loi civile, chez nous, a décidé depuis plusieurs années déjà de tenir compte de cette légitime répugnance. On reconnaîtrait que l’Église ne sera jamais équipée, quoi qu’elle fasse, pour juger convenablement, à partir de critères bien déterminés, quand un mariage est vraiment et irrémédiablement mort et quand un remariage peut être légitime. On reconnaîtrait que les implications sociales et l’intérêt public en matière de mariage et de divorce sont pris en charge par l’État et que c’est bien ainsi, puisque c’est bien à l’État de le faire. On accepterait de laisser aux personnes concernées elles-mêmes le soin de juger si leur mariage est irrémédiablement mort et s’il leur est légitime, devant Dieu, de s’estimer libres de contracter un nouvel engagement. Dans le contexte ainsi défini, le rôle de l’Église ne serait pas réduit à rien. L’Église continuerait à “notarier” le statut matrimonial de ses fidèles. Dégagée de tout ce qui entache présentement sa crédibilité et de tout ce qui rend son discours pastoral si difficile, elle veillerait à promouvoir le sérieux des engagements pris devant Dieu et devant elle.
6. Tout au long de cette réflexion, il s’agit toujours de la question des divorcés remariés. La question se pose donc, inévitable, du statut à donner à ce remariage. Très concrètement, cette question revient à se demander si l’on peut et si l’on doit donner à ce remariage un statut sacramentel.
On s’oppose parfois à permettre aux divorcés remariés tout nouvel accès au sacrement de mariage en alléguant que de le faire contribuerait à voiler le sérieux de l’opposition de l’Église au divorce. Cette raison n’est pas décisive. Bien sûr, le souci qui s’exprime ainsi est légitime et l’on ne peut que le partager. Mais le seul fait que, dans l’Église, on n’accorderait pas de statut sacramentel à un second mariage ne fera pas qu’il y aura moins de mariages qui se solderont par un échec et qu’il y aura moins de remariages. Les statistiques sur le nombre de divorces et de remariages chez les catholiques nous le démontrent. Pour cette raison déjà, l’argument que je viens d’évoquer ne convainc pas pleinement.
En contrepartie, plusieurs motifs suggéreraient, en positif, de ne pas refuser le statut sacramentel à un remariage dans lequel on s’engage avec sérieux, devant Dieu et devant tous. Deux de ces motifs relèvent de la logique. Le mariage dont il est question, avons-nous dit, est moralement légitime. Si tel est le cas, il est donc logique qu’il soit reconnu de plein droit dans l’Église. L’Église enseigne que le sacrement est très important pour ceux qui s’engagent dans le mariage. Il est donc logique qu’elle reconnaisse cette importance également – et peut-être surtout – dans le cas d’un remariage. D’autres motifs enfin relèvent d’une attitude plénière d’accueil dans l’Église pour ceux qui ont vécu une première épreuve difficile et qui veulent, avec la grâce de Dieu et en profitant de l’expérience acquise, refaire leur vie dans une union qui mettra toutes les chances de leur côté. On voit mal que cet accueil plénier soit compatible avec une exclusion du sacrement par lequel l’Église veut justement que se sanctifient ceux qui s’engagent dans le mariage.
———————————————————-
[1] Sur toute cette question, voir : Lettre pastorale des évêques allemands du Rhin supérieur: «La pastorale des divorcés remariés», dans Ia Documentation catholique (DC), 21 nov. 1993, pp. 986-994 ; Lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la foi : «Sur l’accès à la communion eucharistique de la part des fidèles divorcés remariés», dans DC, 6 nov. 1994, pp. =30-934 ; Message des évêques de la Province ecclésiastique du Rhin supérieur: «Après la lettre de la Congrégation pour la Doctrine de la foi», dans DC, 6 nov. 1994, pp. 932-935.
[2] F. X. Durrwell, c.ss.r., «Indissoluble et destructible mariage», dans Revue de droit canonique, 1986, pp. 214-242. Durrwell a repris la même pensée dans le cadre d’une réflexion élargie sur le sacrement du mariage: «Le sacrement du mariage, une recherche», dans Revue de droit canonique, 1991, pp. 147-170.
[3] DC, 6 novembre 1994, p. 934.
[4] Cf. Constitution pastorale «L’Église dans le monde de ce temps» (Gaudium), n. 48.
[5] Richard A. Cormick, Notes on Moral Theology, 2 vol.: 1965 through =980; 1981 through 1984, University Press of America. Ces ouvrages sont des instruments précieux pour qui veut se donner une bonne idée de la problématique actuelle sur la question du divorce dans l’Église.
[6] Indissoluble et destructible mariage, dans Revue de droit canonique, 1991, p. =36.
|